LETTRE
Cher Wim Wenders,
Je suis bien heureuse de t’écrire cette lettre. Il est important pour moi de mettre sur papier les affects qui me lient à ton cinéma. En effet, tu as été en quelque sorte le déclencheur de mon amour pour le celui-ci, la porte d’entrée qui m’a fait comprendre : pourquoi le cinéma ? Et, surtout, comment un film? La non-utilisation de verbe au sein de mes questions rhétoriques est voulue.
Le premier film que j’ai vu de ta filmographie fut Alice dans les villes, j’ai aussi regardé Paris, Texas suivi des Ailes du désir, ainsi que Perfect Days tout récemment. Je possède un souvenir vif de chacune de ses œuvres constituant des marqueurs temporels. Ils portent en eux le concept du Zeitgeist. Ils sont les traces d’époques, de lieux, de la Seconde Guerre mondiale, du consumérisme américain, de l’Allemagne divisée, des systèmes de communication, etc. Tu esthétises l’Histoire à travers la poésie de l’instant.
La plupart de tes films, du moins ceux que j’ai vus, utilisent le médium filmique à son plein potentiel. Tu allies si bien scénario, et technique cinématographique. J’apprécie ton attention portée au potentiel du cinéma, aux détails, au dosage entre les différents éléments qui le composent. On le voit d’ailleurs avec la mise en abyme de la photographie argentique dans Alice dans les villes, ou dans l’incorporation des techniques cinématographiques au sein du fil conducteur, comme les rêves du protagoniste dans Perfect Days qui laisse place à des scènes expérimentales jouant avec la surexposition de l’image pelliculaire. Tu es un cinéaste didactique qui connait les codes filmiques, et sait les briser. Aussi, tu ne cesses d’explorer notre rapport sensible à l’image par le biais du temps qui s’allonge et des mises en scène. Par exemple, à la fin de Perfect Days, tu filmes le visage de Hirayama pendant une longue minute étirant ainsi le film qui ne veut pas nous laisser partir. Chaque expression faciale remplit un objectif précis, celui de faire parler le protagoniste silencieux, dont l’intériorité déborde sur l’écran. Et, à la toute fin : des larmes, de la musique et du soleil. Ou encore dans Paris, Texas et Les Ailes du désir où tu traites de l’errance. Tes films sont de longues balades contemplatives.
J’aime, la place que tu laisses aux différents genres, arts, et vécus. Ton cinéma est polyphonique, autant sur le plan formel que celui du sens. Il n’y a pas de bonnes ni de mauvaises réponses, mais des questionnements qui surgissent sans qu’on les a conviés. Le seul point qui me tracasse est celui de la place des femmes dans tes œuvres, l’objectivation de celles-ci. Par exemple, le rapport à la couleur de leur chevelure, et d’autres fois, la fétichisation qui se dégage de ces personnages féminins. C’est le point qui me dérange, qui me questionne au sein de tes œuvres. Peux-tu me revenir là-dessus ?
Enfin, Wim Wenders, tu es un cinéaste prolifique, mais surtout un cinéaste qui a beaucoup de talent, et plusieurs cordes à son arc. Un artiste multidisciplinaire, un brin obsessif, qui ne s’essouffle pas avec le temps.
M.J
*Photo couverture (pellicule verte) libre de droit par Markus Spiske : https://www.pexels.com/fr-fr/photo/creatif-appareil-photo-texture-photo-6879095/